Le début du tourisme de guerre dans les Ardennes
Affiche des Chemins de fer de l’Est
Cette affiche a rejoint les fonds iconographiques des Archives départementales des Ardennes au début d’année 2025 grâce à une opération de mécénat réalisée par la Société d’histoire des Ardennes. Elle est aujourd’hui cotée 21Fi 1438.
Il s’agit d’une publicité réalisée par la Compagnie des chemins de fer de l’Est pour attirer de nouveaux voyageurs sur ses lignes. L’argument de vente est ici axé sur différents lieux liés aux conflits armés dans les Ardennes : « Visitez les Trois Champs de Bataille Rocroy (1643) Sedan (1870 & 1918) / les dernières batailles de 1918 / Les vallées de la Meuse et de la Semoy / La Suisse Ardennaise / L’Argonne : les Thermopyles Françaises / Champ de bataille / des américains ». Grâce au titre et textes, l’affiche peut être datée au début des années 1920. L’imprimeur est Devambez, une entreprise parisienne de gravure et d’édition de livres d’art. Cette maison était très prospère et travailla avec de nombreux artistes et institutions. Elle est aussi pionnière en ce qui concerne la production d’affiches, et documents commerciaux. Cette affiche était destinée au marché parisien puisque la durée du trajet depuis la gare de l’Est (2h30) est utilisée comme argument de vente. En outre, sont particulièrement mis en valeur l’attrait paysager des vallées de la Meuse et de la Semoy comparées à la « Suisse ardennaise » et le souvenir des champs de Bataille de la Grande Guerre en Argonne désignés comme les « Thermopyles françaises », faisant référence à la bataille mythique des Thermopyles, sous l’Antiquité, au cours de laquelle les soldats grecs combattirent l’armée perse jusqu’au sacrifice.
La mise en page est typique des affiches du tourisme ferroviaire de l’époque : une carte avec les lignes de chemins de fer et les arrêts possibles, des cartouches représentant les sites à visiter sous forme de gravures qui invoquent chacun, des particularités géographiques ou des références historiques : Rethel dévasté ; Charleville avec sa Place Ducale ; Givet et Charlemont ; Laifour et les Dames de Meuse ; Château-Regnault Bogny avec la Roche Bayard ; Bazeilles et la Maison des dernières cartouches ; le village d’Herpy l’Arlésienne dévasté ; Mézières où furent tirés les derniers obus du 11 novembre 1918 (alors qu’ils l’ont été à Vrigne-Meuse) ; le grand cimetière américain de Beaumont et de Létanne ; Vouziers en feu ; Attigny et la résidence de Charlemagne et où eut lieu le baptême de Witiking, chef des Saxons qui fut le principal adversaire du roi franc Charlemagne qui le convertit de force au christianisme. La Première Guerre mondiale est particulièrement évoquée puisque la moitié des 11 gravures évoque des sites qui lui sont liés.
Cette campagne de publicité s’insère dans un mouvement plus large, le développement du tourisme de guerre ou de mémoire. Dès avant la fin du conflit, un inventaire des sites remarquables est réalisé par l’architecte André Ventre dans la perspective d’une reconstruction à l’identique. Des guides à travers les vestiges des champs de batailles sont même édités comme la série des Guide bleus des champs de bataille par les frères Michelin publiée entre 1917 et 1920 (environ 30 guides et 2 millions d’exemplaires vendus). Dès lors cohabitent sur les sites meurtris les familles endeuillées, veuves, orphelins, soldats survivants en pèlerinage mais également, les premiers touristes.