Documents témoins d'une histoire familiale
La famille Lisoprawski, la WOL et la Shoah
Une trentaine de documents. Des photographies, des actes notariés, de la correspondance, des ordonnances médicales, des inscriptions au registre du commerce de la Seine, des journaux officiels. Cette trentaine de documents constitue ce qu’il reste de la mémoire de la famille Lisoprawski. Ils ont été confiés par l’institutrice de Poix-Terron à la communauté juive des Ardennes après la Seconde guerre mondiale. Récemment redécouverts lors du rangement des archives de la synagogue, les documents ont été donnés aux Archives départementales par l’intermédiaire de Christine Dollard-Leplomb (AFMD Amis de la Fondation mémoire de la Déportation). Voici ce qu’ils racontent.
Mendel Lisoprawski est né en Pologne en 1904. Il arrive en France comme travailleur étranger en 1928, il est boulanger et s’installe à Paris dans le XIème arrondissement, 6 rue de la Présentation, dans une boulangerie dont il loue le fond de commerce.
Avec son épouse Rywka, elle aussi née en Pologne, ils vont donner naissance à 4 enfants : Rosa née en 1933, Paulette en 1934, Samek-Simon en 1935 et Daniel en 1939. Des photographies témoignent de vacances à Berck, de liens maintenus avec de la famille en Pologne, de balades dans le parc Montsouris à Paris avec leurs nièce et neveu, Simone et Daniel.
À la fin des années 1930, Mendel Lisoprawski a l’opportunité d’acheter le fond de commerce de la boulangerie, l’acte est dressé le 20 mars 1940. Mais les évènements vont rattraper la famille Lisoprawski. En septembre 1939, Mendel Lisoprawski voit la France entrer en guerre contre l’Allemagne, il se fait alors recruter dans l’armée polonaise en France, comme le montre son certificat de position militaire daté d’avril 1940. Après la drôle de guerre, la vie reprend à Paris pour quelques mois seulement, comme en témoigne les quelques tickets de ravitaillement et des ordonnances médicales parisiennes de 1941.
Les documents n’expliquent pas comment la famille Lisoprawski se retrouve dans les Ardennes à travailler pour les Allemands dans le cadre des réquisitions de la WOL (À partir de novembre 1940, près de 700 juifs d’origine étrangère et résidant en région parisienne s’engagent par l’intermédiaire de l’UGIF, union générale des israélites de France, créée par Pétain) dans une cinquantaine de communes ardennaises afin de travailler sur les terres agricoles réquisitionnées par la WOL, Wirtschaftsoberleitung - Direction des services d’exploitation agricole.) En effet, la plupart des Juifs, frappés notamment d’interdiction de travailler, doivent organiser leur survie. Les enfants Lisoprawski sont placés dans la Sarthe avant de revenir près des parents, à Poix-Terron.
Le jour de la rafle des Ardennes, 4 janvier 1944, Rywka Lisoprawski vient chercher ses enfants à l’école de Poix- Terron, pour monter dans le camion allemand qui les emmènera à la gare de Charleville et laisse à l’institutrice ses documents personnels ainsi que 200 francs, une montre-clés et deux bagues. Le 5 janvier 1944, les juifs de la WOL des Ardennes sont emmenés à Drancy en wagons plombés, puis déportés à Auschwitz dans le convoi 66 du 20 janvier. Mendel, Rywka et leurs enfants y sont exterminés.
Rosa, Paulette, Samek-Simon et Daniel font partie des 1 642 enfants de moins de 18 ans du XIème arrondissement de Paris victime de la Shoah. 62 sont rescapés. Des plaques commémorent leurs souvenirs dans les écoles du XIème arrondissement et dans le jardin parisien de la Folie Titon pour les enfants qui n’étaient pas en âge d’être scolarisés.
Simone et Daniel Lisoprawski, les nièce et neveu de Mendel et Rywka, échappent aux rafles parisiennes et sont cachés par Anne Beaumanoir dans sa famille en Bretagne.