Le plan du Betrieb 433 de la WOL de Bazeilles (12R 210)

Le plan du Betrieb 433 de la WOL de Bazeilles (12R 210)

Après la défaite de juin 1940, les Allemands s’installent dans les Ardennes, un département largement détruit et vidé de sa population. Les Ardennes sont placées en zone interdite - au retour de la population - dès juillet 1940. Dans les campagnes, la situation est catastrophique : les exploitations sont à l’abandon, les récoltes doivent être moissonnées et le bétail, qui a échappé aux combats, soigné. S’appuyant sur l’ordonnance du 20 mai 1940 du maréchal Keitel, relative à la reprise de l’activité agricole nécessaire au ravitaillement des troupes et de la population, les Allemands occupent les fermes vacantes ou jugées mal entretenues. La relance agricole est confiée par le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF) à la société Ostland, (Ostdeutsche Landbewirtschaftungsgesellschaft, société de gestion des terres agricoles est- allemandes) déjà chargée de la mise en culture des terres polonaises conquises. C’est à sa troisième direction économique régionale, Wirtschafsoberleitung ou WOL III, que la centrale berlinoise de l’Ostland confie la gestion des Ardennes. La WOL III opère, dans les Ardennes, 8 900 accaparements de fermes dont 2 431 en totalité. L’organisation est présente dans 380 des 503 communes du département, occupe entre 112 845 hectares et 104 087 selon les sources et les moments.  Aucun autre département de la zone interdite ne connaît une présence aussi massive de la firme allemande. Les campagnes sont totalement réorganisées en 199 centres d’exploitations (Betriebe) regroupés en 27 districts de cultures (Bezirks) et 4 cercles de culture (Kreis) autour de Sedan, Mézières, Rethel et Vouziers. Dans le cadre de l’occupation agricole, la WOL s’emploie à moderniser l’agriculture française par le remembrement, la mécanisation et le développement de l’usage des engrais.

La question de la délimitation des exploitations administrées par la WOL demeure un sujet de frictions récurrentes entre les deux administrations. En 1942, le Directeur des services agricoles dénombre 10 plaintes chaque jour émanant des agriculteurs français contre les accaparements abusifs de la WOL. C’est dans ce contexte fébrile du règlement des rapports entre exploitations de la WOL et agriculteurs français en tenant compte de la situation de propriété et de la question de la main- d’œuvre que la Feldkommandantur lance en 1943 une vaste entreprise de cartographie des possessions de la WOL. La construction de 384 plans est prévue. Les Archives départementales ont conservé 280 de ces plans. Ils constituent le plus important corpus de sources de ce type en France et en Europe occidentale.

Sur les 109 103 hectares, recensés par la Préfecture, comme possessions de la WOL, en 1942, l’arrondissement de Sedan représente 32 619 hectares soit 30 % du total des emprises. Au niveau des cantons, les situations sont cependant très variées : Sedan-sud, Carignan, Mouzon et Raucourt enregistrent des valeurs d’occupation des terres supérieures à 5 000 hectares, alors que dans le canton de Flize et d’Omont enregistrent des volumes compris entre 3 400 et 4 500 hectares. Dans l’organigramme de la WOL, les fermes confisquées dans la région de Sedan relèvent du cercle de culture de Sedan, numéro 411 dans l’annuaire de la comptabilité de l’entreprise. Au niveau local, le travail des terres est confié à 66 centres d’exploitation dirigés par des chefs de culture qui administrent plusieurs de fermes dédiées surtout à la polyculture et l’élevage.

Dans le cercle de Sedan, 65,5 % des plans témoignent d’une présence de la WOL dans de grands ensembles fonciers. Forte présence et possessions groupées semblent être une tendance lourde de l’appropriation des terres par la WOL dans cette région des Ardennes. En 1942, les superficies moyennes des Betriebe « sedanais » s’établissent comme suit : dans Sedan-Nord : 400 hectares, Sedan-Sud : 690 hectares, Carignan : 537 hectares, Omont : 516 hectares, Mouzon : 423 hectares, Flize : 404 hectares.   Quelques plans sont caractéristiques de ces structures agraires de grandes exploitations, construites par le débornage autoritaire des limites de propriété antérieures à l’occupation, en particulier celui du Betrieb numéro 433 de Bazeilles.

Le village de Bazeilles est situé dans le canton de Sedan-Sud. Dans l’organigramme de la WOL, Bazeilles relève du cercle de culture de Sedan et du district de Balan, centre d’opérations numéro 433 dirigé par le Betriebsleiter Bernhard Kerres. À Bazeilles, la WOL contrôle 635 hectares contre seulement 228 pour le secteur français. Le plan d’occupation des sols est un travail soigné, pourvu d’une légende qui figure les exploitations de la WOL avec une plage de couleur rose. La légende permet par ailleurs d’attribuer ce plan à un cartographe allemand. Le document est dûment validé par les autorités françaises et allemandes comme prévu dans la procédure. Le schéma d’implantation de la WOL est celui attendu dans ce type de zone : une très forte emprise sous forme de très vastes parcelles géométriques situées en périphérie du village en une belle auréole avec un prolongement vers la commune de Daigny. En revanche, la légende ne permet pas de préciser le type d’agriculture pratiquée à Bazeilles.

À bien des égards le plan des possessions de la WOL à Bazeilles est représentatif du fond documentaire exceptionnel conservé aux Archives départementales des Ardennes. Son exploitation permet une écriture renouvelée de l’histoire de l’occupation agricole si particulière à ce département. 

Philippe Moyen

Société d’histoire des Ardennes