La guerre de 1870 dans les Ardennes
Épisode 2 : La bataille de Bazeilles
Ayant reçu l’ordre, la veille au soir, de se concentrer à Sedan, l’armée française est, le 31 août, positionnée au nord et à l’est de cette ville. Au sud de ce dispositif se trouve le 12e corps d’armée du général Lebrun. Il a en charge la défense d’une zone dont la pointe sud correspond au village de Bazeilles.
À partir de 9 heures de matin, l’artillerie bavaroise, installée sur les hauteurs de Liry, commence à bombarder le village. Les premiers combats à l’intérieur du village opposent les 22e et 34e régiment d’infanterie de ligne aux troupes bavaroises. Face à un ennemi bien supérieur en nombre, le général Lebrun envoie en renfort la division d’infanterie de marine du général de Vassoigne.
Vers midi, l’infanterie de marine charge les Bavarois et les refoulent à la Meuse mais ceux-ci tiennent toujours le pont de chemin de fer de Bazeilles. Les quatre premières colonnes qui tentent de repasser ce pont sont clouées sur place par les mitrailleuses françaises mais la cinquième réussit à franchir le pont. La lutte fait alors rage dans le bas du village, principalement dans la rue d’en bas et la ruelle du mayot. Les hommes se battent au corps à corps et à la baïonnette.
Accablés par le nombre des ennemis, les Français sont repoussés dans la moitié nord du village mais, suite à une contre-attaque de l’infanterie de marine, Bazeilles est repris vers 17 heures. Les Bavarois, rejetés de l’autre côté de la Meuse, cessent leur bombardement d’artillerie.
Au milieu du village en flammes, le commandant Lambert qui a reçu l’ordre de défendre Bazeilles jusqu’à la dernière extrémité profite de la nuit pour organiser la défense. Des barricades sont élevées à toutes les issues et ferment les rues de l’église, d’en bas et du mayot. Les maisons abandonnées par leurs habitants sont transformées en redoute, leurs portes et fenêtres sont blindées par des matelas et des planches.
Le 1er septembre, vers 4h 30 du matin, les Bavarois, qui ont traversé la Meuse sur un pont de bateaux à Remilly, entrent dans Bazeilles par l’extrémité nord du village espérant surprendre les défenseurs et les habitants dans leur sommeil. Ils avancent sans être inquiétés jusqu’à la barricade de la rue de l’église où ils sont accueillis par une fusillade. Les Bavarois sont alors repoussés mais certains d’entre eux enfoncent la porte de l’auberge du lion d’or située devant la barricade pour y trouver refuge. Ici, la « grande Histoire » rencontre la « petite histoire » car les Archives départementales conservent un carnet rédigé par le propriétaire de l’auberge, Philippe Henry. Il y raconte l’envahissement de sa maison en ces termes : « Les Prussiens sont entrés chez nous enfonçant les portes puis ont fait feu sur les Français qui étaient de l’autre côté de la route. À ce moment, un officier prussien m’attrape à la gorge et me somme de lui montrer toutes les issues de la maison ; je lui montre la porte allant à la remise, il y avait déjà des baïonnettes de croisées sur moi mais sur le signe que l’officier fait avec son épée, ils baissent leurs armes puis il me fait monter les escaliers allant au grenier avec des Prussiens. En redescendant, je lui ouvre la porte d’une chambre où ma femme, ma mère et mon fils étaient, il me fit ouvrir une armoire, il la fonce [l’enfonce] en la refermant ! Quoi dire ! Il me fait redescendre puis il se mit derrière le comptoir pour être à l’abri de balles et me fait rester près de la sortie de la cave et toutes les bouteilles d’eau-de-vie qu’ils remontent il faut que je boive le premier de peur qu’elles ne soient empoisonnées. Enfin, je vois un grand prussien qui me regardait, je lui fis signe que je serai saoul si je continuais à boire, et il dit à celui qui me passait les bouteilles de ne plus m’en donner. Paf ! Il me lance une bouteille dans la bouche et me casse une dent […]. Pendant ce temps-là, on se battait toujours. Dans la chambre on apportait des blessés, dans la remise le médecin qui était là les déboutonnait […] presque tous étaient blessés dans la poitrine. Ces derniers, il me leur faisait donner à boire. Je crois que c’était pour les avancer à mourir parce qu’ils mourraient aussitôt […] le temps s’écoule, ma maison tremble, la fusillade, les canons, les mitrailleuses puis les hurlements que leurs blessés font sont choses indescriptibles. Tout d’un coup, j’entends le clairon et les Français battent en retraite ». La suite des mésaventures de Philippe Henry, prisonnier des Allemands, est à découvrir aux Archives départementales.
Si, comme le raconte Philippe Henry, les Français battent en retraite vers 8 heures, c’est parce qu’ils en ont reçu l’ordre. Le maréchal de Mac Mahon qui observait la bataille depuis une éminence, a été blessé quelques moments plus tôt par un tir de l’artillerie ennemie. Mis hors de combat, il a passé le commandement de l’armée au général Ducrot qui a ordonné à l’infanterie de marine de se retirer de Bazeilles. Cependant, vers 8h30, le commandement de l’armée est repris par le général de Wimpffen qui ordonne au général de Vassoigne de reprendre Bazeilles.
Une fois encore, l’infanterie de marine rentre dans Bazeilles et reprend le village aux Bavarois jusqu’à l’église. De nouveaux combats au corps à corps, maison par maison, ont alors lieu au milieu du bombardement de l’artillerie ennemie et des maisons incendiées par les troupes bavaroises et saxonnes. Vers midi, sur le point d’être encerclé, le général de Vassoigne décide de se replier sur Balan. Seul 200 Français contre 20 000 Allemands se barricadent dans plusieurs maisons pour freiner l’avancée ennemie. La dernière de ces habitations à résister est la maison Bourgerie, une auberge située au point culminant nord de Bazeilles. Entre 60 et 100 soldats français s’y sont barricadés vers 11 heures. Aux environs de midi, la maison est encerclée et bombardée. Son toit prend feu mais les soldats français résistent toujours et se battent jusqu’au moment où ils sont à court de munitions. Vers 15 heures, après avoir tiré leur dernière cartouche, les soldats français finissent par se rendre. La maison Bourgerie est alors entourée d’environ 600 cadavres de soldats ennemis. Elle deviendra par la suite le musée de la « dernière cartouche ».
En 36 heures de combats, la division d’infanterie de marine a perdu plus de 2 600 hommes, tués, blessés ou disparus et l’armée ennemie a perdu entre 4 000 et 7 000 hommes dont plus de 4 000 Bavarois.
En réponse à ces lourdes pertes, la quasi-totalité du village est incendié en représailles comme en témoignent une rare photographie des ruines du village, prise probablement à l’hiver 1870-1871, et de nombreuses cartes postales. Une quarantaine d’habitants est également exécutée et la population encore présente dans le village est faite prisonnière, comme l’illustre Auguste Lançon dans une de ses gravures. Les habitants de Bazeilles, accusés d’avoir participé au combat, sont ensuite jugés par un tribunal militaire qui les condamnent à mort mais ils sont finalement libérés.