La guerre de 1870 dans les Ardennes
Épisode 6 : Les Ardennes sous l'occupation (1870-1873)
Fin janvier 1871, près de trente départements sont occupés par l’armée ennemie. Certains départements de l’ouest de la France ne le sont que quelques semaines voire quelques jours mais d’autres, comme les Ardennes, sont occupés depuis le mois de septembre 1870.
Les fonctionnaires ayant reçu pour consigne de n’entretenir aucune relation avec l’ennemi, ordre confirmé dès sa prise de fonction par le ministre de l’Intérieur Gambetta, les Allemands font face à un vide administratif. Ils sont donc amenés à mettre en place une structure administrative civile au côté de la structure d’occupation militaire.
Deux gouvernement généraux sont ainsi créés, l’un pour la Lorraine dont le siège est fixé à Nancy et un autre pour la Champagne et l’Île-de-France qui a pour le siège la ville de Reims. Ce dernier, suite à l’extension de la zone occupée, est ensuite divisé en deux en janvier 1871 par la création d’un gouvernement général de l’Île-de-France et du Nord dont le siège est fixé à Versailles.
Le département des Ardennes dépend du gouvernement général de Champagne à la tête duquel est nommé Friedrich Franz, grand-duc de Mecklembourg-Schwerin, commandant du 13e Corps d’armée.
Assisté de deux commissaires civils, il transmet ses directives au niveau départemental à une administration qui reprend les appellations administratives françaises mais qui est composée de nobles allemands. Il est ainsi créée une préfecture à Rethel dirigée par le préfet Von Katte. Celui-ci à sous ses ordres des sous-préfets à Mézières et Sedan.
Le gouverneur général dispose pour faire connaitre ses ordres à la population occupée d’un journal officiel « Le Moniteur » dont le premier numéro paraît le 10 octobre 1870. La diffusion de ce journal est assurée par l’obligation pour les communes de s’y abonner. Dans ce journal sont également présentes des informations sur les opérations militaires qui continuent dans le reste du pays et des articles donnant le point de vue allemand sur la guerre. Il n’est cependant pas la seule source d’informations car l’armée allemande, hormis Paris qu’elle encercle efficacement, n’a pas les moyens d’occuper massivement le territoire ou de créer une ligne de démarcation étanche. Il est ainsi possible pour les voyageurs individuels aux prix de quelques précautions de se déplacer dans toute la France et de diffuser des informations. De plus, un journal comme Le Courrier des Ardennes après une interruption d’un mois reparaît à partir du mois de février 1871.
Au côté de cette organisation civile dotée de compétences policières, judiciaires et financières, les autorités allemandes mettent également en place une structure d’occupation militaire. Dans toutes les localités où est présente une garnison, l’autorité est exercée par l’officier à la tête de la « commandantur ».
Les principaux interlocuteurs des autorités allemandes pendant toute l’occupation sont les maires. Ils sont ainsi obligés d’organiser le logement des troupes chez les particuliers et de répartir entre les habitants les réquisitions de nourritures, de fourrages et de matériels.
Les Allemands réclament également aux communes des contributions de guerre. Le 11 octobre 1870, par exemple; le préfet allemand de Rethel informe le maire de Pouru-aux-Bois que le « roi de Prusse, commandant en chef des troupes allemandes, a décidé qu’une contribution d’un million de francs soit levée sur tout département français occupé… et que cette contribution soit affectée à compenser les pertes que la propriété privée allemande a subies par les vaisseaux de guerre français et par l’expulsion des allemands de la France » et que la somme incombant à sa commune est fixée à 2 000 francs. Les autorités d’occupation exigent aussi la perception des impôts.
Toute ces demandes sont accompagnées de menaces en cas de refus ou de lenteur à y accéder. Ainsi, l’ordonnance du 28 décembre 1870 émanant du gouverneur général de Reims et relatives à la perception de la contribution venant remplacer les impositions françaises se termine par la phrase « Nous espérons que les Maires prêteront une obéissance absolue à cette ordonnance et qu’ils ne nous forceront pas à recourir aux mesures rigoureuses prévues par les lois militaires ». Dans une lettre du 13 février 1871 au maire de Charleville, l’officier en charge de la commandantur de Mézières écrit « La contribution en argent demander (sic) à la ville de Charleville a été resté impayer (sic) jusque à aujourd’hui. La Commandantur de Mézières donne ordre au Premier Lieutenant Wechler d’arrêter un conseiller municipal et de le conduire à la citadelle de Mézières. Il restera prisonnier jusqu’à paiement de la contribution ».
Après la signature des préliminaires de paix le 26 février 1871 et de la convention de Rouen le 12 mars 1871, l’administration civile allemande est supprimée. Les gouvernements généraux sont dissous et le préfet et les sous-préfets allemands quittent le département. Le 4 avril 1871, les services préfectoraux se réinstallent à Mézières et le 10 avril 1871 Louis Tirman est nommé préfet des Ardennes.
La structure d’occupation militaire constituée par les commandanturs reste cependant en place comme en témoigne un avis du 12 octobre 1871 du colonel De Lindeman dirigeant la commandantur de Sedan et ordonnant la remise de toutes les armes et la fermeture des magasins d’armes. Son autorité est également reconnue par la convention de Rouen qui permet à l’armée allemande de maintenir l’état de siège dans les départements occupés en suivant les dispositions de la loi française du 9 août 1849.
Ces accords de février et mars 1871 mettent également fin aux versements des impôts aux autorités allemandes et aux réquisitions en argent et en nature. Le gouvernement français s’est, en effet, engagé à prendre en charge les frais d’occupation. Une partie des soldats continuent cependant à être logés chez les habitants faute de bâtiments publics en nombre suffisant pour les accueillir.
Au printemps 1871, entre 10 000 et 15 000 soldats allemands occupent les Ardennes. Ce chiffre tombe à 10 000 à la fin de l’année 1871. En février 1872, ils sont encore 7000 dont 300, principalement des officiers logent chez les habitants les plus aisés.
Si les historiens spécialistes de cette période s’accordent à dire que cette occupation s’est en général déroulée paisiblement, elle est néanmoins dans les Ardennes ponctuée d’incidents.
L’une des craintes les plus vives des autorités allemandes est l’attaque de soldats allemands. Une affiche de la commandantur placardée à Sedan se fait l’écho d’incidents de ce type en ces termes : 1°. Dans la nuit du 9 au 10 avril à 1 heure ½ de la nuit a disparu sur le chemin du café Barré jusqu’à sa demeure place d’Harcourt, le canonnier Von Bauer… Celui qui donnera des renseignements sur le séjour de Von Bauer ou de son cadavre aura une récompense exceptionnelle. 2° Il s’est présenté le cas regrettable que le 10 avril vers 7 heures du soir, sur le chemin du Fond-de-Givonne… un soldat a été attaqué par trois civils et qu’il a été blessé de coups de bâtons et de couteaux avant qu’il n’ait réussi à tirer son sabre et à repousser l’attaque. 3° Le public est invité à s’abstenir de toute provocation…[les] soldats allemands [ayant] ordre de faire usage de leurs armes dès qu’ils sont menacés de danger. Les postes et les patrouilles ont également ordre de faire feu aussitôt que la personne à laquelle ils crient HALTE ne s’arrête pas ».
Les Allemands ont également la hantise des attaques contre les trains. Une carte postale conservée aux archives témoigne ainsi du déraillement d’un train à Mézières en 1871 suite à la destruction d’un pont de chemin de fer. Pour empêcher ces attaques, les Allemands instaurent la pratique de faire monter des notables dans les locomotives. Une délibération du conseil municipal de Sedan du 23 janvier 1871 retranscrit l’ordre de la commandantur suivant : « La mairie est priée de faire envoyer par l’autorité magistrale deux notables demain matin à 6 heures à la gare comme accompagnement d’un train. À dater d’aujourd’hui tous les trains partant devront être accompagnés par deux notables de la ville. ». De même, le 24 janvier 1871, la commandantur informe la mairie de Charleville qu’elle « vient d’être avisée de faire accompagner comme otages par des citoyens considérés tous les trains se dirigeant de Mohon sur Sedan et Rethel. La Mairie est priée de vouloir bien livrer à la commandantur la liste nominale des conseillers municipaux et de prévenir ces messieurs de se tenir prêt à accompagner les trains ».
L’existence d’une tension latente entre les troupes d’occupation et la population transparaît particulièrement au moment des festivités organisées par les occupants. Ainsi, en mars 1872, la mairie de Charleville reproduit dans un avis affiché en ville le texte d’une lettre du commandant en chef de l’armée d’occupation indiquant que le 22 mars « l’armée allemande célébrera la fête de l’empereur…Dans toutes les garnisons les troupes auront une revue et un service religieux. Partout où se trouve de l’artillerie, 101 coups de canon seront tirés… les troupes auront des banquet Les ordres seront donnés pour limiter cette fête autant que possible à l’intérieur des casernes, afin d’éviter tout contact des soldats et des populations surtout le soir. ». Venant renforcer cette dernière phrase relative à la possibilité d’incidents entre occupants et occupés, le maire de Charleville conclut cet avis par la mention suivante : « L’administration municipale de Charleville est persuadée que la population de cette ville donnera à cette occasion, par le calme et la dignité de son attitude, une nouvelle preuve de ses sentiments d’ordre et de patriotisme. Pour prévenir toute cause de troubles et de désordre, les cafés et établissements publics seront fermés ledit jour, 22 mars, à neuf heures du soir ».
Le département des Ardennes faisant partie des six départements de l’est de la France qui, selon les termes du traité de paix de Francfort du 10 mai 1871, sont gardés en gage par les Allemands jusqu’au versement complet par la France des cinq milliards de francs d’indemnité de guerre, subit cette occupation jusqu’en juillet 1873.