La guerre de 1870 dans les Ardennes
Épisode 7 : Les Ardennes et la Commune de Paris
Les défaites des armées françaises de province et l’échec des troupes assiégées dans Paris à briser leur encerclement conduisent le gouvernement français à conclure un armistice le 28 janvier 1871.
Celui-ci prévoit l’élection d’une assemblée qui devra se prononcer « sur la question de savoir : si la guerre doit être continuée, ou à quelles conditions la paix doit être faite. »
L’Assemblée nationale issue des élections organisées au début du mois de février 1871 se réunit à Bordeaux le 13 février 1871. Elle nomme le 17 février 1871 Adolphe Thiers chef du pouvoir exécutif de la République française. Elle décide également que son siège sera Versailles où elle se réunit pour la première fois le 20 mars 1871.
Le 18 mars 1871, Thiers ordonne la prise par l’armée régulière des canons de la garde nationale de Paris entreposés à Montmartre. Opposés à cet ordre, les gardes nationaux et les milieux populaires de l’est parisien se soulèvent. Face à cette insurrection, Adolphe Thiers décide d’évacuer Paris. L’ensemble des ministères rejoint alors Versailles. Le 28 mars 1871, la Commune est proclamée à l’hôtel de ville de Paris. En province, d’autres villes comme Lyon ou Marseille voient la création de communes mais celles-ci sont rapidement réprimées par le gouvernement versaillais.
Le premier but de Thiers est d’isoler Paris du reste du pays. À partir du 21 mars et pendant dix jours, il fait couper le télégraphe entre Paris et la province. Il peut ainsi donner ses ordres dans tous les départements.
Le maire de Charleville reçoit ainsi une dépêche télégraphique du 21 mars 1871 avec l’ordre suivant : « Faires arrêter sur le champ et poursuivre selon toutes les rigueurs des lois les délégués ou émissaires du prétendu gouvernement de Paris ». Le 22 mars, une nouvelle dépêche de Thiers cherche à dissuader tout responsable local de se rapprocher de la Commune en concluant « Il reste bien entendu que tout agent de l’autorité qui pactiserait avec le désordre sera poursuivi selon les lois comme coupable de forfaiture ».
Thiers recherche également le soutien armé de la province. Les Ardennes occupées ne peuvent envoyer de soldats à Versailles mais cela n’empêche pas Louis Tirman, secrétaire général des Ardennes chargé de l’administration du département, de solliciter dans une circulaire du 24 mars 1871 un soutien moral auprès des communes du département :
« A défaut de concours armé nous pouvons offrir au Gouvernement un appui moral qui facilitera sa tâche. Que toutes les communes, les conseils municipaux, s’unissent pour protester contre les criminelles entreprises du comité de Paris et qu’ils transmettent à l’Assemblée et au Gouvernement l’expression de leur confiance et de leur sympathie. Une semblable manifestation permettra aux honnêtes gens de se compter, et le Gouvernement sachant que la France est avec lui, y puisera la force nécessaire pour dompter l’insurrection et faire triompher la République honnête, celle qui s’appuie sur le droit et la liberté ».
Le gouvernement versaillais cherche aussi à contrôler l’information. Si le Courrier des Ardennes, journal conservateur favorable au gouvernement n’est pas inquiété, le Progrès des Ardennes, journal républicain prenant de plus en plus partie pour la Commune, voit sa publication suspendue par un arrêté préfectoral du 12 avril 1871 :
« Le préfet des Ardennes agissant en exécution des ordres spéciaux de M. le Ministre de l’Intérieur considérant qu’au moment où le gouvernement de la République est contraint à réprimer l’insurrection par la force il n’est pas possible de laisser publier un journal qui dans chaque numéro contient des excitations à la guerre civile, arrête : 1° la publication du journal Le progrès des Ardennes est suspendue jusqu’à nouvelle ordre. 2° M. le maire de Charleville et M. le commissaire de police sont chargés … de l’exécution du présent arrêté ».
Thiers assure également sa propagande en envoyant par télégraphe de nombreuses proclamations qui doivent ensuite être affichées dans toutes les communes. Les archives communales de Charleville, conservées aux Archives départementales des Ardennes, en contiennent quelques-unes. Ces proclamations ont d’abord pour but de montrer que Paris est isolée. Dans une proclamation du 12 avril 1871, Thiers écrit « Ne vous laissez pas inquiéter par de faux bruits, l’ordre le plus parfait règne en France, Paris seul excepté, le gouvernement suit son plan et il n’agira que lorsqu’il jugera le moment venu… notre armée tranquille est confiante… et si le gouvernement la fait attendre, c’est pour rendre la victoire moins sanglante ».
Les combats débutent le 3 avril 1871 et ont principalement lieu à l’ouest et au sud de Paris car les forts au nord et à l’est de Paris sont occupés par l’armée allemande. La progression de l’armée versaillaise est lente car, avant de pouvoir pénétrer dans Paris, elle doit prendre le contrôle des forts qui entourent la capitale. Face à un conflit qui s’éternise, Thiers cherche à assurer la population de la victoire prochaine des troupes versaillaises en envoyant à tous les préfets, le 20 mai 1871, la dépêche suivante : « Quelques préfets ayant demandé des nouvelles, ceux qui s’inquiètent ont grand tort. Nos troupes travaillent aux approches ; nous battons en brèche au moment où j’écris. Jamais nous n’avons été plus près du but. Les membres de la Commune sont occupés à se sauver ».
Le 21 mai, l’armée versaillaise entre dans Paris. C’est le début de la « Semaine sanglante » pendant laquelle ont lieu les combats les plus meurtriers, des exécutions sommaires et l’incendie de nombreux bâtiments publics. Une proclamation de Thiers du 25 mai 1871 témoigne de ces événements en ces termes : « Nous sommes maîtres de Paris sauf une très petite partie qui sera occupée ce matin. Les Tuileries sont en cendres, le Louvre est sauvé, la partie du ministère des finances qui longe la rue de Rivoli a été incendié, le palais du quai d’Orsay dans lequel siègent le Conseil d’état et la Cour des comptes a été incendié également, tel est l’état dans lequel Paris nous est livré par les scélérats qui l’opprimaient… le sol de Paris est jonché de leurs cadavres… ».
La Commune de Paris prend fin le 28 mai 1871 mais dès le 27 mai, Louis Tirman, devenu préfet des Ardennes le 10 avril, ordonne au maire de Charleville de prendre contre les fuyards de la Commune les mesures suivantes : « M. le Ministre de l’Intérieur me fait connaitre que les gens de la Commune fuient de tous côtés en grand nombre et que l’organisation actuelle de la sureté publique est visiblement insuffisante pour l’empêcher. Dans ces circonstances… il croit devoir faire appel à toutes les administrations publiques pour… assurer la répression efficace des crimes inouïs dont beaucoup de ces misérables se sont souillés. Je vous prie en conséquence, Monsieur le Maire, de recommander au commissaire de police de votre ville et aux agents sous ses ordres la surveillance la plus rigoureuse sur les étrangers qui séjournent ou seulement qui passent sur votre territoire. La production du passeport ne suffira pas toujours car les gens les plus dangereux ont toujours des papiers en règle. Si quelque indice peut rendre le voyageur suspect, il sera nécessaire que l’agent s’entende avec la gendarmerie qui reçoit journellement des instructions très étendues ».
Des traces de cette surveillance policière accrue sont également visibles grâce une note du 1er juin 1871 conservées dans les archives de Charleville et indiquant que :
« Le service à la gare se fait d’une manière continue par le commissaire de police et ses agents. Ils assistent à l’arrivée et au départ des trains, ils visitent les passeports des voyageurs. La surveillance est exercée sur les étrangers. Les hôtels sont visités chaque jour par le commissaire de police. Les registres des voyageurs sont examinés très attentivement et signés. Quoique porteurs de passeports, lorsque les étrangers paraissent suspects, lorsque leur identité est difficile, ils sont conduits immédiatement devant M. le Procureur de la République. »
En tant que territoire occupé, les Ardennes n’ont ainsi ressenti que les contrecoups de la Commune et l’ont surtout perçue comme un élément venant entraver les négociations de paix et la future libération du département.