La guerre de 1870 dans les Ardennes

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Épisode 4 : Le siège et le bombardement de Mézières

Après sa victoire à Sedan, le principal objectif militaire de l’armée allemande est la prise de Paris. Les Allemands se contentent donc d’occuper, dans les Ardennes, uniquement une bande de territoire allant de Sedan à Rethel. Tout le nord-ouest du département, notamment les places fortes de Mézières, Rocroi et Givet, reste sous le contrôle des Français.

Dès le 2 septembre, un armistice est conclu entre l’armée ennemie et la place de Mézières afin de ravitailler les prisonniers de guerre français rassemblés sur la presqu’île d’Iges à Sedan et de soigner les blessés. Les villes de Charleville et Mézières accueillent ainsi plusieurs milliers de blessés. Cet armistice dont les clauses comprennent la suspension des hostilités dans un rayon de vingt kilomètres autour de Sedan est à plusieurs reprises prolongé jusqu’à la date du 20 octobre à midi. Les deux camps en profitent pour renforcer leurs positions et redéployer des troupes.

Les Allemands amènent ainsi des soldats près de Mézières. Ils arrivent le 12 septembre à Saint-Marceau puis s’installent le lendemain à Boulzicourt. Ils construisent également une dérivation à la voie de chemin de fer permettant de raccorder la voie ferrée Thionville-Mézières et celle de Mézières-Reims-Rethel sans passer par l’échangeur de Mohon car ce dernier se trouve sous le feu des canons de Mézières.

Les Français profitent de cet armistice pour envoyer, début septembre, des troupes stationnées à Mézières vers Paris pour participer à la défense de la ville. Les défenseurs de Mézières verront encore leur nombre se réduire avec le départ, début décembre, de cent quatre-vingt-cinq artilleurs. Ils vont rejoindre l’armée du Nord, une des armées qui se constituent en province sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur Gambetta pour venir en aide à la capitale assiégée. Des travaux de fortifications sont également menés à Mézières et la défense de Charleville est organisée avec la mise en place de barricades au nord et au nord-ouest de la ville.

Après la fin de l’armistice, de nombreux accrochages, escarmouches et coups de main vont avoir lieu entre d’une part les francs-tireurs et l’armée régulière française et d’autre part les troupes allemandes.
Pour n’en citer que quelques-uns, le 26 octobre, les compagnies de francs-tireurs les « Destructeurs » et les « Sangliers » s’unissent pour attaquer une auberge à Launois où un groupe de soldats allemands stationne pour protéger le service du courrier ennemi entre Rethel et Sedan. Le lendemain, toujours à Launois, ces deux compagnies de francs-tireurs sabotent la voie de chemin de fer et font dérailler un train militaire allemand venant de Soissons. Le 13 novembre a lieu au château de Praële une action combinée des francs-tireurs « Les Éclaireurs » et des troupes de la place de Mézières contre des soldats allemands.

Le 15 novembre, les soldats de l’armée régulière de Mézières attaquent des positions allemandes trop proches de la place. La clouterie du Moulin Leblanc est ainsi bombardée et des avant-postes allemands attaqués à Villers-Semeuse.   Le 27 novembre, Rimogne devient également un lieu d’affrontement entre la compagnie des « Chasseurs de l’Argonne » et les troupes allemandes. Les Allemands répondent à ces attaques par des représailles contre la population civile et des opérations de ratissage visant les francs-tireurs.

Afin de mettre un terme à ce climat d’insécurité pour ses troupes, l’armée allemande considère de plus en plus urgente la prise de Mézières. La conquête de cette place lui permettrait aussi de prendre le contrôle de la ligne de chemin de fer Strasbourg-Thionville-Mézières-Paris et de ne plus dépendre exclusivement pour le ravitaillement de ses troupes assiégeant Paris de la ligne Strasbourg-Paris. Elle doit cependant attendre la capitulation de la place forte de Montmédy, le 14 décembre, pour disposer d’un nombre de pièces d’artillerie de siège suffisant pour mener le bombardement de Mézières.

À partir du 25 décembre 1870, les Allemands rapprochent leurs troupes d’infanterie de Charleville et Mézières et commencent les travaux d’installation de leurs batteries d’artillerie.

Un plan extrait d’un ouvrage conservé par la bibliothèque des Archives départementales nous permet de voir que l’essentiel du parc d’artillerie allemand est disposé au sud de Mézières. Il se compose de huit batteries et de cinq emplacements d’artillerie. Trois autres batteries et un emplacement sont situés entre Romery et Saint-Laurent. Enfin, à l’ouest une batterie est positionnée entre Warcq et Prix-lès-Mézières et deux emplacements sont établis sur la route de Rocroi. Au total, près de cent pièces d’artillerie menacent Mézières.

Le 30 décembre, le colonel Blondeau, commandant de la place de Mézières, reçoit du général allemand de Woyna une proposition de reddition l’informant qu’en cas de refus le bombardement de la ville commencerait à « bref délai ». Blondeau ayant refusé de capituler, le bombardement débute le 31 décembre 1870 à 7h30 du matin.

Les Archives départementales conservent sous la forme d’un cahier entré récemment dans ses collections, en 2019, un récit manuscrit du bombardement rédigé par Auguste Laurent Fortemps. Âgé de 58 ans, il est capitaine de la garde nationale sédentaire de Mézières et commande l’artillerie de la fortification appelée Couronne de Champagne située au sud de Mézières. Ce témoignage est d’autant plus intéressant que l’artillerie de la garde nationale sédentaire de Mézières est la seule artillerie qui a tenté de répondre au bombardement allemand. L’artillerie de l’armée régulière a, en effet, rapidement cessé son feu. Le capitaine Fortemps écrit :
 « à 7 heures et demi du matin, j’entendis une détonation… ; une seconde détonation succède à la première et au même instant, j’entends le sifflement d’un obus qui tombe sur une maison du Pont-de-Pierre où elle met le feu en éclatant, plus de doute, le bombardement commence. Je cours aussitôt au poste des canonniers, je prends ceux qui s’y trouvent et les place d’abord dans une batterie blindée armée d’une pièce à longue portée donnant entre St Laurent et Romery d’où je venais de m’apercevoir que le feu de l’ennemi avait commencé ; nous ne tardâmes pas à découvrir l’emplacement de leurs batteries à l’est de la Place, mais comme la neige qui couvrait la terre nous empêchait d’en distinguer les reliefs, nous prîmes des points de repère et commençâmes notre feu ; il était alors près du 8 heures du matin, notre premier coup fut un peu court mais le second nous parut tomber en pleine batterie, effectivement, nous apprîmes quelques jours après que l’officier commandant cette batterie avait été mortellement blessé ainsi que plusieurs de ses canonniers, qu’en outre une de leurs pièces avait été mise hors de service ; les capitaines Girault et Dufour que j’avais fait prévenir ne tardèrent pas à arriver ainsi que plusieurs canonniers de la sédentaire qui malgré le danger se firent un devoir de se rendre à leur poste, c’est alors que l’on pût organiser quatre pièces à longue portée, deux tirant à l’est de la Place et deux au sud, les pièces de l’est étaient commandées par le capitaine Dufour et moi, et celles du sud par le capitaine Girault et le maréchal des logis Villière ; ainsi postés nous répondîmes de notre mieux au feu écrasant de l’ennemi ; mais la citadelle ainsi que les autres ouvrages de la Place qui avaient commencé à tirer et qui pouvaient en continuant nous soutenir efficacement, cessèrent leur feu après une heure de tir, la citadelle surtout qui possédait le meilleur armement de la Place ne fit feu que trois ou quatre fois ; ce qui rendit notre position plus dangereuse, car l’ennemi s’apercevant alors que la Place n’était plus défendue que par une faible partie des ouvrages de la Couronne Champagne, convergea une partie de ses feux sur ces ouvrages et nous couvrit de projectiles ; malgré cette périlleuse position nous n’en continuâmes pas moins notre feu jusque vers trois heures de l’après-midi, heure à laquelle, une forte brume jointe à la fumée de l’incendie de la ville…. nous empêcha de distinguer au loin et nous força…à rentrer dans le poste abri le plus proche de nos batteries …persuadés que l’ennemi avec un pareil feu aurait bientôt épuisé ses munitions… il n’en fût pas ainsi car l’ennemi ne discontinua pas son feu de la nuit et le redoubla le lendemain matin… et malgré le drapeau blanc arboré dès 6 heures du matin au clocher de l’église il ne cessa de tirer jusqu’à dix heures du matin, heure à laquelle on vînt nous apprendre que la Place avait capitulée. »
Après plus de vingt-six heures de bombardement pendant lesquelles la ville reçoit plus de six mille trois cents projectiles, Mézières est en ruines. Deux cent soixante-deux maisons sont détruites, cent soixante-quatorze sont entièrement incendiées sur les cinq cent six que compte la ville et quarante habitants sont retirés des décombres. De nombreux cadavres sont retrouvés sous les gravats dans les caves des immeubles. Charleville est moins touchée. Une protestation aux conclusions de l’enquête sur le siège de Charleville formulée par les gardes nationaux de la ville nous apprend que « plusieurs maisons ont été incendiées, que trente habitants au moins ont été atteints par les projectiles, la moitié mortellement ; qu’au moment où ils sortaient du Conseil Municipal, un conseiller a été tué par un obus presque sur le seuil de l’Hôtel de Ville, et un de ses collègues grièvement blessé ».

Quatre jours plus tard, le 5 janvier, la place de Rocroi se rend elle aussi. À partir de janvier 1871, la quasi-totalité du département est occupée, seule la pointe de Givet reste sous le contrôle de la France.

Carte postale de la place de l'église en ruines.jpg Faire-part de décès de victimes civiles.jpg Photographie de la rue du Pont-de-Pierre prise le 5 janvier 1871.jpg Première page du récit du capitaine Fortemps.jpg