La guerre de 1870 dans les Ardennes
Épisode 9 : Les anciens combattants de la guerre de 1870
Les associations d’anciens combattants de la guerre de 1870 ont pour particularité, à quelques exceptions, de s’être créées une vingtaine d’années après la guerre. C’est le cas, dans les Ardennes, de la « Société des combattants de 1870-71 » de Charleville dont le fonds d’archives est conservé aux Archives départementales des Ardennes. Fondée en 1893, cette société se fixe pour but « le groupement en une fraternelle union des personnes ayant appartenu à l’armée française, à un titre officiel quelconque pendant la guerre de 1870-1871 ». Sa principale activité comme le montre l’étude de sa comptabilité est d’assister aux enterrements des anciens combattants et de faire l’acquisition de couronnes mortuaires. Elle organise également des banquets d’anciens combattants et ses membres sont aussi invités par les autorités à participer aux cérémonies officielles.
À partir de 1894, elle organise le 1er novembre une cérémonie au cours de laquelle un cortège composé d’anciens combattants se rend de la place ducale jusqu’au cimetière de Charleville afin de déposer une couronne sur le monument érigé en ce lieu en l’honneur des morts carolopolitains de la guerre de 1870.
Dans un discours prononcé à cette occasion, le 1er novembre 1898, l’orateur s’exprime ainsi : « Fidèles à une coutume de quatre années, nous venons en ce jour, où la pensée de tous s’élève vers les êtres chers qui ne sont plus, accomplir auprès de leur tombe un pieux pèlerinage. Nous venons saluer en eux ces nobles citoyens, victimes de nos désastres, qui, aux heures de tant de défaillances, n’ont pas désespéré de la patrie, et, le cœur plein d’une légitime fierté sont morts pour la France. Ah ! messieurs, que les jeunes générations qui n’ont pas connu comme nous les malheurs de l’année terrible viennent de temps en temps méditer auprès des monuments de ce genre ! Que leurs cœurs tressaillent, que leur courage s’échauffe, que leur sang bouillonne dans leurs veines, qu’ils s’arment d’héroïsme pour l’heure du sacrifice ! Que nos jeunes conscrits, à la veille d’être les soldats de cette armée qui nous est si chère, de cette armée dont les sentiments sont si nobles et si purs que les plus basses injures ne peuvent l’atteindre, viennent comme nous, leurs aînés, se recueillir auprès de ces chers morts, martyrs du patriotisme et du devoir. S’inspirant de leur exemple, ils seront au jour de cette revanche qui viendra à son heure, les dignes fils de leurs pères. Et vous nobles camarades, qui avez été fauchés au moment où tout semblait vous sourire, qui avez reçu la mort en héros, sans défaillance et sans regret, dormez en paix votre dernier sommeil. »
Dans ce discours transparaît l’évolution de la perception de la guerre de 1870 par la société française entre les années 1870 et 1890. La plus grande défaite militaire française, par l’exaltation de l’héroïsme des combattants, est transformée en un succès à venir. Les récits et les monuments commémoratifs érigés à cette époque insistent également sur les épisodes les plus glorieux de la guerre.
Les commémorations de cette époque s’adressent ainsi autant aux défunts qu’aux vivants car, dans l’esprit de ces derniers, le désir de revanche doit être entretenu.
Cette héroïsation des anciens combattant se ressent également dans la devise, très en vogue à l’époque, adoptée par la Société des anciens combattants de la guerre de 1870 de Charleville « Gloria Victis » (Gloire aux vaincus).
Cette évolution de la perception de la guerre de 1870 et de ses combattants amène les associations d’anciens combattants à revendiquer une reconnaissance officielle. Elles obtiennent ainsi la création en 1911 d’une médaille commémorative. Cette médaille de bronze porte sur l’avers le visage d’une république casquée et sur le revers des trophées militaires et un drapeau ainsi que la mention « Aux défenseurs de la patrie ». Le ruban est, quant à lui, vert rayé de noir.
L’importance accordée à cette décoration par les anciens combattants est visible dans les invitations aux cérémonies officielles que la société des anciens combattants de 1870-71 de Charleville envoie à ses membres. Elle y indique, en effet, que le « port de l’insigne de la société et de la médaille de 1870 est obligatoire. »
Cette médaille prend une nouvelle importance après la Première Guerre mondiale. Son brevet d’obtention devient, en effet, une des pièces justificatives permettant aux soldats de la guerre de 1870 d’obtenir la carte de combattant créée par la loi du 19 décembre 1926 et ainsi un statut officiel d’ancien combattant. Les décrets du 28 juin et du 1er juillet 1927 déterminant les attributions de l’office national des combattants et fixant les conditions d’obtention de la carte de combattant donnent accès, dans leur article 4, à la carte du combattant aux soldats de la guerre de 1870 mais sans jamais citer ce conflit. Il y est ainsi indiqué que « les militaires ayant pris part aux opérations effectuées avant le 2 août 1914, pourront individuellement demander à bénéficier de la qualité de combattant. Ces cas spéciaux ne seront examinés qu’après constitution de l’office national des combattants et des comités départementaux. La décision sur chacun de ces cas sera prise par le ministre des pensions après instructions et avis des comités départementaux et de l’office national des combattants. »
Les soldats vaincus de 1870 sont ainsi dans ce décret traités comme de cas spéciaux et sont mis à part des soldats victorieux de la Première Guerre mondiale.
Les Archives départementales des Ardennes conservent près de 560 dossiers d’anciens combattants de 1870. Ce nombre relativement restreint de dossiers comparé au nombre total des combattants de la guerre de 1870 s’explique par le fait qu’ils sont constitués par des hommes étant alors octogénaires.
Ces dossiers se caractérisent, tour d’abord, par l’inadaptation de leurs formulaires conçus pour des demandes formulées par des anciens combattants de la Première Guerre mondiale. Les anciens soldats de la guerre de 1870 sont ainsi obligés de raturer certaines lignes ou d’écrire dans les marges. Étant tenus de détailler les opérations militaires auxquelles ils ont pris part, les combattants de 1870 apportent dans ces dossiers de demande de carte de combattant ou d’allocation du combattant de nombreuses informations sur leur parcours militaire. Isidore Aristide Gentil, par exemple, ancien combattant de 1870, né à Sommauthe en 1851 et résidant en 1930 à Mohon, indique dans la marge de son formulaire de demande d’allocation du combattant les renseignements suivants :
« Engagé volontaire pour la durée de la guerre le 4 septembre 1870 à Mézières, 8 octobre 1870 premier investissement de Mézières, combat de Le Theux, 14 novembre 1870 combat de Praële, 30 décembre 1870 combat de Saint-Laurent, 31 décembre-1er janvier bombardement de Mézières nombreuses sorties nocturnes, prisonnier du 12e régiment de landwehr à Flize le 20 novembre 1870, s’est échappé deux jours après, prisonnier de guerre à la reddition de Mézières le 1er janvier 1870, s’est échappé et à rejoint Givet ».
Il indique également dans ce formulaire qu’il a appartenu du 4 septembre 1870 au 6 mars 1871 à la 1ère compagnie des francs-tireurs ardennais sous le grade de sergent-fourrier.
Ces dossiers d’anciens combattants comportent également des demandes de secours qui nous renseignent sur la situation familiale et financière des survivants de la guerre de 1870 dans les années 1930.
Ainsi, si les associations d’anciens combattants de la guerre de 1870 ont pu servir par la suite de modèle aux associations d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale, les anciens soldats de la guerre de 1870 ont dû attendre le traumatisme de la guerre de 1914-1918 pour réellement recevoir de la société la reconnaissance matérielle et morale liée au statut d’ancien combattant.