Histoire d'un portefeuille

En-tête du jugement d'Antoine Gilbert.jpg

La répression du faux-monnayage sous la Révolution

Les archives du Tribunal criminel des Ardennes sous la Révolution contiennent quelques rares pièces à conviction dont un portefeuille en cuir rempli d’assignats. Les assignats, créés au départ en 1790 comme des titres d’emprunt, deviennent en 1791 une monnaie papier. Ces billets connaissant rapidement une dépréciation de leur valeur et de nombreuses contrefaçons, l’Assemblée Nationale vote des lois punissant sévèrement les personnes refusant ce moyen de paiement et les faux-monnayeurs.

Quelle est l’histoire de ce portefeuille ? Celle-ci commence un soir de marché à Auvillers-les Forges le 20 floréal de l’an II de la République (9 mai 1794).

Jean Nicolas Achart, cultivateur de 51 ans demeurant à Logny-Bogny, se présente vers les 10 heures du soir chez le greffier de la municipalité d’Auvillers-les Forges pour lui demander de recevoir le paiement d’une somme qu’il doit à un autre homme. Le greffier ne voulant pas recevoir ce paiement, Achart tire de sa poche des assignats sans les compter, les jette sur la table et commence à partir mais il est arrêté et les assignats, soupçonnés d’être faux, sont saisis. Le lendemain, l'administration municipale informée de ce qui s’est passé la veille chez le greffier décide d’alerter le juge du district de Roclibre (nom révolutionnaire de Rocroi). Ayant également appris que Jean Nicolas Achart avait reçu les assignats suspects d’Antoine Gilbert, voiturier de 31 ans habitant à Signy-le-Petit, dans le cadre d’une vente de deux chevaux, elle ordonne aux gendarmes de procéder à l’arrestation de ce dernier. C’est lors de celle-ci qu’est retrouvé sur Antoine Gilbert le fameux portefeuille plein d’une centaine d’assignats. Lors de son interrogatoire par la municipalité d’Auvillers-les-Forges, Antoine Gilbert indique qu’il a reçu ses assignats d’un savoyard dont il ne connaît pas le nom.

À la suite de ces déclarations, l’affaire est transmise par le Tribunal de Roclibre au Tribunal criminel des Ardennes à Mézières qui décide d’inculper Achart et Gilbert pour introduction et distribution de faux assignats dans l’enceinte du territoire de la République.

Afin de s’assurer que les assignats contenus dans le portefeuille d’Antoine Gilbert sont bien des faux, ceux-ci sont envoyés à Paris auprès de Deperey, le vérificateur général des assignats. Dans une lettre du 6 prairial en II (25 mai 1794), celui-ci confirme à Charles Pauffin Tiercelet, accusateur public du Tribunal criminel des Ardennes, que les billets sont bien des faux.

Le jugement de cette affaire est rendu le 27 prairial an 2 (15 juin 1794). Achart est reconnu innocent. Il a notamment bénéficié du soutien des habitants de sa commune de Logny-Bogny qui, dans une lettre au tribunal, le présente comme « un républicain zélé [qui] se fait un devoir et un honneur en tout temps de déjouer les manœuvres criminelles qui se trament dans l’état et le gouvernement où il vit, et non y tolérer le vice ; …. [un] protecteur de l’indigent, de la veuve et de l’orphelin ». Les habitants finissent leur lettre en suppliant le tribunal de le « renvoyer incessamment à sa charrue et au soin de sa famille ».

Antoine Gilbert est, quant à lui, reconnu coupable. Les dernières lignes de son jugement indiquent que le « juge a retracé à Antoine Gilbert …la manière généreuse et impartiale avec laquelle il a été jugé, l’a exhorté à la fermeté et à la résignation ».

Il est exécuté le jour même du jugement sur la place de Mézières comme le montre le registre des décès de l’an II de l’état civil de cette ville.

Le dossier de procédure contenant le portefeuille d’Antoine Gilbert, conservé sous la cote 1L 42, est consultable aux Archives départementales des Ardennes.

 

Acte de décès d'Antoine Gilbert.jpg Faux assignat.jpg Portefeuille d'Antoine Gilbert